Depuis combien de jours suis-je ici ? Peut-être que cela fait même déjà plusieurs mois ou années que j’y suis… à vrai, je ne le sais même pas moi-même. Et cela n’importe peu. Dans cet endroit, c’est plutôt ce qu’on y fait qui compte. Seul, au beau milieu de la forêt, je rumine toutes sortes de pensées. Tant obscures que pleine d’espoir. J’étais bien heureux de ne plus être enfermé dans une des tours les plus lugubres du château de la Reine de Cœur. Je suis bien mieux en pleine nature, à ramasser des… champignons ? Non ! Ici il ne faut pas ! Rares sont ceux qui sont comestible ou peu dangereux. Et puis, je m’amusais seulement à le faire pour garder en mémoire mon ancienne vie dans l’autre monde. Il m’arrivait aussi de parler seul, de faire comme si ma fille était à mes côtés. A chacun sa manière de combler le vide comme on dit… De toute façon, il n’y avait personne pour se moquer de moi, ni pour me juger. Ce monde est bien plus fou que j’en ai l’air. Ce qui est rassurant, dans un sens. Ma fille me manque terriblement… Devais-je garder espoir de la retrouver un jour ? Pour le moment, c’était plutôt mal barré. Heureusement, j’avais réussi à trouver le moyen de me faire des amis ici. Des personnages bien étranges également, tel qu’un lapin peu bavard et souvent pressé ainsi qu’à l’inverse un chat aussi déjanté qu’imprévisible. Mais je me sentais bien avec eux. Toujours mieux qu’avec la Reine… rien qu’en pensant à elle, je m’en gratte le cou et enroule un peu mieux mon foulard autour de ma gigantesque et impressionnante cicatrice. Quand on a eu l’occasion de se faire couper la tête et d’y survivre, forcément, ça laisse des traces tant physiques que psychologiques d’ailleurs.
Bref, tous ces derniers bouleversements dans ma vie n’ont pas manqué de me chambouler. Cependant, l’espoir était toujours là, tout au fond de moi. Plus particulièrement depuis l’arrivée d’une certaine Alice, au pays. J’ignorai comment, ni pourquoi elle ne se lassait pas de venir ici... Je continuai de fabriquer des chapeaux en tout genre, pour éviter de me retrouver à nouveau séparer de mon corps. Mais j’en fabrique à présent à plus petite dose, sans qu’elle le sache. Mon état psychologique actuel m’empêche de me concentrer de toutes les façons qui soient. C’est donc après une bonne petite balade dans la forêt, que je prends la direction de ma maison tout en chantonnant une drôle de chanson, inventée de toute pièce par ma personne. C’est qu’elle est plutôt charmante ma demeure, je n’ai pas à m’en plaindre. Il n’y en a pas deux comme ça. Parfois, il arrivait qu’on sente l’odeur du thé à des kilomètres à la ronde. Car oui, je suis principalement reconnu pour ça ici et je suis le meilleur dans ce domaine. Il était temps d’en préparer d’ailleurs. Une fois entrée à l’intérieure de ma maison, j’enlève mon chapeau et le dépose au centre de la grande table en bois qui orne le salon. Je l’observe un instant, avant de me diriger vers la cuisine ouverte et de commencer à préparer le thé. Plus qu’une habitude, un rituel. Il arrivait même parfois que des personnes s’invitent chez moi pour venir en boire. Selon l’humeur du jour, j’accepte ou non leur présence chez moi. Un jour, je pouvais accueillir n’importe qui les bras ouverts et l’autre rejeter un ami comme si je n’avais aucun souvenir de lui. Oui, je suis du genre difficile à suivre…
Il n’empêche que je mettais toujours du cœur à l’ouvrage, dans chaque théière. Préparant ce délicieux thé, comme s’il était destiné à ma fille. Comme si il y avait la moindre chance qu’elle passe un jour cette porte et qu’elle me saute dans les bras. Le regard évasif et la tête légèrement penchée vers la fenêtre, j’aperçois au loin une étrange silhouette s’approcher de ma maison. Pas n’importe laquelle, une qui n’appartient qu’à lui et à lui seul. Fronçant légèrement les sourcils sur le coup, c’est finalement avec un charmant sourire que je me dirige vers la porte avant de l’ouvrir en grand.
« Tu arrives juste à temps pour le thé, mon cher. »
Il devait certainement le savoir… Car généralement, l’heure reste la même pour cette occasion. Et puis, il était certain que le chat était venu pour cela… non ? Ou peut-être pour autre chose ? Ou peut-être pas… De toute façon je ne devrais pas trop tarder à la savoir. L’invitant à entrer, je referme la porte derrière lui après m’être assuré qu’il n’y avait personne d’autre avec lui ni dans les environs. Aujourd’hui, il y aurait donc juste assez de place pour lui. D’autant plus qu’il s’est donné la peine d’être présentable, même si cela ne se voit pas énormément chez lui, mais je ne manque pas de remarquer qu’à chacune de ses visites, c’est le cas. Je cours à ma cuisine pour éteindre le feu sous la théière, une seconde de plus et j’aurai trouvé le moyen de gâcher ma vie…
« Que me vaut l’honneur de ta visite ? »
J’ignore trop pourquoi, mais j’avais comme l’impression qu’il était là pour une bonne raison et pas uniquement pour mon thé. Attrapant deux tasses ainsi que la théière, je dépose le tout sur la table sans le quitter des yeux. Je prends le temps de lui verser la boisson chaude et parfumé, avec une certaine grâce voir légèreté, dans sa tasse avant d’en faire de même pour moi et de m’installer face à lui.
« Deux sucres ? Comme d’habitude je suppose… même si selon moi, tu n’en as pas ô grand besoin. »
Un large sourire prit forme sur mes lèvres. C’était de l’humour bien évidemment, car il est vrai qu’il n’avait pas besoin de sucre selon moi pour être actif ou en pleine forme, l’étant déjà naturellement.